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01 Mar

chili con mate

Publié par Ragui Tifenn

chili con mate
chili con mate

~~• 24 janvier 2012. La "Carretera Austral", enfin.

Je viens juste d'arriver dans la petite ville del Chaitèn, bourgade oubliée de la carretera austral, cette longue et mythique route qui mène cahin caha jusqu'au au bout du monde. Mais comme d'habitude je commence par la fin!

Une semaine déjà. Une semaine et 40 heures de voyage dans des transports en tous genres. Ma première étape en Patagonie fut la petite île de Chiloe, et cette île du Pacifique est vraiment fascinante pour ses habitants, ses monuments, sa culture. Mais surtout ses habitants : les chilotes sont très bruns et ont la peau burinée, ravinée et creusée par la rudesse du climat. leur peau d'ébène ressemble a du cuir trop tanné, froissé et leurs membres à du bois mouillé. Mais ce qui saisit lorsqu'on les rencontre est leur regard. Ou plutôt leurs yeux. Clairs. Bleus parfois, lagon souvent et plus rarement or. oui oui, OR. Comme deux pépites électriques incrustées dans de l'écorce brûlée. Fabuleux. Mais ce n'est pas tout; Ils ont un " truc"... Les légendes côtoient l'histoire et les deux forment un tissage tellement fin qu'il en devient impossible de démêler le vrai du faux, le réel du rêve. Les sorciers sont légion et le vent a une ombre. L'île est l'amante de la mer et les marins naviguent lentement pour laisser le temps à leur âme de les suivre. Ils ont toujours un sourire de réserve et un conte dans la poche. Quant aux paysages et bien c'est vraiment beau. Simplement, étrangement, généreusement beau. Euh... a part les taons. Quand on voyage il y a toujours un "mais". Et là ce "mais" c'est les taons. J'ai rencontré dans une auberge de l'île deux argentins de la Terre de feu, un vieil hippie galicien caricatural,et une suisse allemande. Nous avions comme projet de faire le tour du parc national à pied le lendemain.

9h du mat' : notre petit groupe aussi disparate que comique embarque dans le petit bus bariolé.

10h40 nous arrivons les fesses endolories par les cahots de la route mais les jambes impatientes d'arpenter les sentiers du parc.

10h41 on chiale.

A peine le bus a-t'il disparu dans un panache de fumée et de poussière, qu'une nuée de taons gros comme deux phalanges d'obèses nous assaillent. Enfer et damnation! Ils étaient tellement nombreux que nous n'osions crier de peur qu'ils investissent nos bouches! Ils nous piquaient, nous bzibzitaient dans l'oreille à tel point que nous avons rebroussé chemin, la tête déconfite et les cheveux hirsutes. Bref...premier trekking pas très king. Pas grave, j'ai rencontré Sina avec qui j'ai embarqué dès le lendemain dans un bateau pour le sud. 10 heures plus tard ( et pas mal de degrés en moins ) nous sommes arrivées dans cette ville que j'ai cité plus haut : el Chaitèn. Bon ça a l'air simple quand je le raconte mais rien que pour accoster ça a été galère à cause des conditions climatiques. 3 heures pour réussir à arriver au port! En arrivant un grand panneau clignotant nous informe du taux d'ozone et du niveau de danger. Glurp...Bienvenue en Patagonie!

El Chaiten est une ville fantôme digne des livres de Stephen King : une éruption volcanique l'a détruite il y a deux ans et le cadavre de cette ville fait peur. En arpentant ses ruelles aux maisons calcinées, j'ai l'impression de profaner l’intérieur d'une carcasse de baleine exhalant son dernier soupir. les quelques habitants qui restent ici attendent la fin du voyage les yeux tournés vers le passé grandiose de cette ville anciennement la plus photographiée du Chili. Ils errent dans leurs mémoires en trainant leurs bottes épuisées dans les cendres voltigeantes en attendant la prochaine éruption qui est inexorable. Et de cette nostalgie débilitante qui transpire des quelques murs encore debout se dégage un charme fascinant. Cette ambiance post-apocalyptique arrosée de pluie australe qui, patiemment, tente d'effacer l'horreur en traçant des sillons indécents dans la terre craintive me donne envie de chuchoter...De me laisser gommer par la grisaille cendrée.

3 février 2012 C'est les yeux dans la pluie et les pieds sur le tapis que je vous écris ces lignes;

Je ne puis en aucun cas vous relater l'ensemble de mes aventures car il faudrait pour cela que je m'enferme dans ma caboche une journée entière et vous imaginez bien à quel point c'est fatigant d'être moi. Alors je vais plutôt vous parler des chiliens. Ou plus exactement des Patagons. De ceux qui sont nés de cette terre, de cette pluie, de cette boue et de ces cendres. Ils ont choisi d'infiltrer leurs racines dans cette terre dure, glaciale et infertile et le fruit de leurs efforts à la saveur douce-amère d'une vie de labeur. La première chose que l'on remarque est leur solidarité. Je n'arrive toujours pas à savoir si c'est leur fierté qui les rend si généreux ou si c'est cette générosité qui les rend si fiers. Plus nous descendons dans le sud et moins il y a de transports en commun. A peu près 1 bus par semaine et la plupart du temps il est bondé. Je fais donc du stop malgré le fait qu'il n'y ait parfois qu'une voiture à passer toutes les demi-heures. Mais si cette voiture ne s'arrête pas car elle est remplie, le chauffeur a toujours un petit signe de regret sincère à notre égard, un clin d’œil, un geste d'encouragement, un "holà" tonitruant. Quand enfin une voiture s'arrête, je bondis à l’intérieur comme un cabri affolé pour échapper, enfin, à l'étreinte glaciale du vent du Sud et commence alors un long échange avec le chauffeur.

Ils paraissent souvent plus âgés et de leur voix éraillée se dégage toujours une force tranquille, une émotivité gracile. Ils se sentent investis d'une mission lorsqu'ils me découvrent dégoulinante de pluie australe. Ils rient de mon accoutrement inadapté à la rudesse de cet hiver permanant cynique et déboussolé et me content des petits bouts de vie, leurs grands-parents croates, leurs pères allemands, français, basques...Ceux qui un jour ont pris un aller simple pour le bout du monde. Mais je ne peux pas parler des chiliens sans parler de Sandro. Et je ne peux pas parler de Sandro sans vous raconter le Trekking de Cerro Castillo. C'était quand déjà? Ah oui : il y a deux semaine environ. J'avais lu en ce matin brouillardeux dans un livre " trekking in the patagonian andes" qu'un des plus beaux treks du sud chilien était celui de "cerro Castillo", littéralement " le mont du château". J'en parle directement à Sina, surexcitée, en omettant volontairement la mention " difficile". La veille du départ nous achetons donc une tente dans une petite boutique de Cohayque en demandant au vendeur une tente légère résistant à la pluie. La nuit avant petit Check up: Tente : OK Sacs de couchages : OK 4 jours de nourriture : OK Nous partons donc le lendemain pour 3 heures de stop et 22 bornes de marche jusqu'au premier campement. Malheureusement nous n'avions pas vraiment pris en considération le fait que ce trek se situait dans une région glacière et donc extrêmement froide et ventée. Et moins d'une heure après notre départ est apparu le premier problème : Une rivière. Pas de pont. Oups. Je sens alors la motivation de Sina vaciller car elle est Suisse et connait les dangers de la montagne. Pas moi. Donc j'enlève mes pompes, remonte mon pantalon, trouve un bâton pour lutter contre le courant et je me lance, loin de ressentir l'assurance que j'affichais. L'eau, directement issue de la fonte du glacier est glaciale...Je retiens ma respiration et avance en serrant les dents. Je parviens même à ressentir dans mon dos la tension nerveuse de Sina qui me suit en silence. Arrivée à la moitié de cette perfide rivière j'ai l'impression d'avoir des glaçons douloureux et maladroits à la place des orteils, et le poids de mon sac rend les pierres plus pointues et acérés. Elles roulent sous mes pieds figés, je dérape, pestifère, m'arrête, persévère. Instants de panique a cause du courant puis, alléluia, la berge salvatrice. - " Putain Sina on est des warrior!" Criais-je d'une voix chevrotante. -" yep! La flippe!" Après cette rivière, trois autres ont suivi. Chaque fois le même enfer, chaque fois la même fierté. On invente même une " River Dance" pour se réchauffer et on rit la pluie, on danse le froid, on chante le vent. Même pas besoin de manger, on se sent surpuissantes.

Enfin...jusqu'à ce qu'on rencontre Sandro, le responsable du Parc National. Sa belle casquette basque vissée sur sa chevelure vinyle, il nous attend devant sa petite cabane en bois et nous accueille chez lui avec un simple : "Adelante." accompagné d'un sourire qui illuminerait une nuit sans lune. On entre dans sa maisonnette comme on entre dans un musée : en silence, avec une curieuse déférence impatiente. On pose, ou plutôt on jette, nos sacs sur le sol et on se rue auprès de l'âtre. Je me souviendrai longtemps de ce café que j'ai avalé encore brûlant, de ce banc trop dur et de cet éclat mi-moqueur, mi-admiratif dans ses yeux. Après le réconfort, la gifle : Il nous explique que c'est très dangereux de continuer car mes chaussures ne sont pas adaptées et qu'il a beaucoup neigé ces derniers jours. On doit passer des cols à pied et très régulièrement les gens restent coincés dans leurs tentes plusieurs jours durant à cause de la neige. En bref on a pas le bon matos, pas assez de nourriture, pas assez d'expérience. Oups. Il est 18h, il faut prendre une décision car on a encore 2 heures de marche avant le prochain campement. Personnellement je veux continuer car je suis très optimiste en ce qui concerne le temps...ma pote hésite, puis flanche. On repart donc la peur verrouillée dans nos entrailles jusqu'au camp de base. -" Cooooooool!!!!!!C'est vraiment magnifique" Clame Sina.

Et c'est fou ce que c'est vrai...La sylve émeraude à l'humide épaisseur plonge lascivement ses racines dans le lagon et chatouille la glace de sa canopée joueuse. Je me sens tellement conne à ce moment là, plantée au milieu de cette humble majesté, les bras ballants, si ridiculement humaine, petite, inutile. 'tain j'ai chialé comme une môme...comme dans les films. Rien que pour cet instant, pour ce battement de cils dans ma vie, je donnerais tout. Sina me sort de mon état de contemplative admiration en me disant qu'il est temps de faire un feu et planter la tente. On s'active donc et je prend en charge la réalisation d'un feu ( hé hé ); J'étais absorbée par un ( gros ) problème technique ( genre bois mouillé = pas de feu ) quand j'entendis un cri de désespoir répercuté par l’écho moqueur des montagnes. " That tent is a big shit" Vomit Sina, sa haine sublimée par la peur. Ouille. Un toit, 4 sardines et un trou. Et merde. -" c'est relativement un coup a mourir de froid ça." Osais-je affirmer. - " Putain Tif, on remballe et on va voir Sandro. Je connais la montagne, ce n'est pas possible avec ça" - " oulala...il va se foutre de nos gueules" -" Y'a moyen" Bon...le truc cool avec Sina c'est qu'on arrive à rire de toutes nos galères... 2 heures de marche et 5 crises de fou-rire hystérique plus tard :

-"Toc toc" -"Adelante".

Même sourire, même lumière, même café. Il n'est même pas surpris car il a eu l'occasion maintes fois de recueillir des touristes échoués après une tempête, à demi morts de froids et de fatigue. Nous avons passé la soirée à boire du maté agrémenté de whisky et à virevolter d'un sujet à l'autre avec le plaisir et la désinvolture d'amis de toujours. Finalement nous sommes restées 2 jours à explorer avec lui le parc, à grimper dans les arbres et escalader les glaciers. Cela nous a permis aussi de connaître cet homme si particulier vivant seul au milieu d'un paysage post-glaciaire. en explorant sa petite casita on découvre son univers : Ici et là des revues de voyage, un calendrier bloqué en octobre 2011, une photo fanée de vahinés pulpeuses et dorées, des livres et pleins de recueils de poèmes pour rester en lien avec la beauté de l'Homme éduqué et sensible. Mais au milieu de tout ce bric à brac d'objets divers une chose m'interpelle : un National géographique jauni par le temps, ouvert sur une photo en double page de Paris vue du ciel.

- " Pourquoi cette image de Paris?"

- " Parce que je suis fasciné par la beauté et l'élégante arrogance de cette ville. Elle s'étend telle une forêt d'immeubles, allongeant ses branches d'asphalte sur les champs de blé. C'est pour moi la victoire de l'être humain sur la nature. Je me demande en regardant cette photo comment tant de gens peuvent vivre au même endroit."

Là j'avoue que je suis restée un moment scotchée. On ne s'attend jamais à tant de verve chez quelqu'un qui vit dans les bois...Mais il faut que je lui explique les villes : Des carcasses de béton rongées par la solitude et habitées par des fantômes. Le vent pollué charriant les rêves oubliés des badauds affairés...Les voitures, le macadam constellé de merdes de chien, le stress.....

-" Mais moi quand je regarde par la fenêtre je vois des arbres. Toujours les mêmes. Et, pour seul écho à mes raisonnements stériles, j'ai ce vent qui s'insinue, résiste et s'infiltre dans ma cahute. Je lutte pour ne pas ployer devant sa force, pour m’entourer d'écorce. Alors je rêve de villes. De poésie. D'Humains."

Nous avons laissé Sandro dans sa forteresse de mots et sommes reparties avec le sentiment d'avoir gagné quelque chose de bien plus précieux que tous les livres du monde.

Cerro Castillo
Cerro Castillo

Cerro Castillo

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A
C'est très beau
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