Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 Jan

Les Tutus de Rennes

Publié par Ragui Tifenn

Marché au poissons, essaouira

Marché au poissons, essaouira

J’ai toujours détesté prendre un appartement, comme si ce dernier devenait un navire à quai sans espoir de revoir le large. Je retente cependant l’expérience et en signant le bail j’ai eu l’impression d’avaler une brouette remplie de graviers. Depuis 3 semaines ils s’entrechoquent dans mon bide et investissent tous mes organes comme un mauvais tube tournant en boucle.

Jusque jeudi midi.

Le soleil pointait de ses rayons en éventail un banc vide. Je me pose et ferme les yeux en tendant tout mon être vers la promesse d’une nouvelle saison.

« On vous dérange pas mademoiselle ?»

J’ouvre les yeux, l’air amène (moi si on me donne du « mademoiselle » hein…..) et découvre deux vieux blacks penchés sur moi, l’air interrogateur.

« non non, bienvenus ! »

Le plus grand, cheveux grisonnants et cataracte laiteuse, me gratifie d’un rire d’enfant et enchaine directement sur un monologue que je peine à suivre tant son accent est particulier. Il me dit qu’ils cherchaient le soleil et que ce dernier leur avait très clairement indiqué ce banc, que les embruns de son pays et le marché aux poissons lui manquaient ;

« Quel Pays ? »

« Djibouti ! Mais je suis Somalien »

Puis il continue le fil de sa conversation en me laissant frustrée de ne pas être capable de boire toutes ses paroles.

« Je ne comprends pas ce que vous dites, ‘tutuquoi ?’ »

Il répète la même chose 4 fois de suite devant mon air ahuri jusqu’à ce que son ami décolle son nez du journal :

« c’est une expression de Djibouti : quand on connaît quelqu’un on le tutuyer ( tutoie), les inconnus on les appelle les ‘tutu’ »

On ri ensemble, on fait des blagues sur les tutus de danse, il me parle de sa femme idéale qu’il va bientôt trouver à Rennes qui fait encore partie des tutus, mais plus pour longtemps.

Je les laisse sur leur banc lumineux en emportant un peu du marché aux poissons de Djibouti dans les poches.

Samedi matin : Je tombe du lit à grand peine pour tester le marché de mon quartier. En ouvrant les volets c’est sans grande surprise que je découvre un ciel charbon dégoulinant sa suie froide sur les feuilles mortes. Décidant d’ignorer le chant maussade des oiseaux, j’inonde mon appartement de cumbia et sorts percer la grisaille de mon châle rouge. Et j’arrive…Chez moi…Au Maroc.

Y’avait même des gens avec des sacs cabas lidle posés sur la tête pour s’abriter de la pluie, comme au bled. Tout le monde parlait arabe en triant les fèves et je me suis surprise à préparer ma phrase en attendant mon tour.

Et au milieu des plastiques verts et des tchadors colorés, un homme en T-shirt blanc et bermuda bleu-marine chantait à tue-tête des bondieuseries cathos au son grinçant de sa guitare malmenée par l’humidité. Un vrai fou c’est rare, et au Maroc ils ne se moquent pas, ils ignorent, ce qui donnait un genre de danse sous la pluie battante. Il gesticulait, des rigoles d’eau décorant son visage illuminé, entouré de la multitude sourde et aveugle, vague s’éloignant de lui comme une pulsation sentencieuse.

Je suis restée un bon moment regarder les mains ridées des dames fourrant les msemen de coriandre et de fromage, insensible au climat, un sourire niais pendu à la gueule. Sur le retour un vieux cambodgien m’a offert un plant de Ginseng pour « la chance », et je suis rentrée en semant mes graviers le long de la route, comme le petit poucet qui aurait retrouvé son chemin.

Commenter cet article

À propos

carnets de voyages